La vie du marquis de Sade est un véritable roman, mais il l'a passée une grande partie du temps entre quatre murs, poursuivi et enfermé pour ses mœurs dissolues et ses écrits scandaleux. Comme le rappelleun nouvel ouvrage complet consacré à sa vie et à ses écrits (Le Libertin enchaîné, éd. Perrin), l'écrivain maudit connaît des soucis judiciaires dès ses 23ans, pour débauche et blasphème, et ses ennuis avec la police ne feront qu'empirer avec des séjours à Vincennes, à la prison d'Aix, dans des forteresses ou des châteaux, d'où il parvient parfois à s'évader…
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En1777pourtant, le piège se referme à l'instigation de sa belle-mère, madame de Montreuil, lassée de ses outrances, qui obtient une lettre de cachet à son encontre. Après de nombreuses péripéties, il finit de nouveau à Vincennes, une prison connue pour la dureté des conditions d'enfermement – il n'a pas encore quarante ans. Et se plaint à son épouse Renée-Pélagie pour adoucir sa captivité, lui demandant d'obtenir au moins «deux promenades par semaine»…
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Sept ans plus tard, les cachots de Vincennes ferment et le voilà transféré à la Bastille, au deuxième étage d'une tour qu'on surnomme ironiquement celle de «la liberté»: une cellule de cinq mètres sur six, des murs blanchis à la chaux et un sol en brique. Le marquis est furieux, mais s'adoucit peu à peu: il aménage son espace selon ses goûts en faisant tapisser les murs de tissus tout en plaçant des meubles, tableaux et gravures, ainsi que sa bibliothèque, son véritable poumon intellectuel, comme le rappelle Christian Lacombe, bibliothécaire à la réserve des livres rares de la BNF et auteur de cette nouvelle biographie.
Gazettes et pâtisseries
Sade est contraint de faire son lit et balayer sa chambre, mais reste autorisé à correspondre par lettres avec l'extérieur, ce dont il ne se prive pas, notamment en écrivant à ses connaissances et à sa femme, qui tente d'améliorer son ordinaire comme elle peut, notamment en lui fournissant livres, gazettes, beurre et pâtisseries… Et le voilà se posant en victime d'un complot, pestant contre le ministre Sartine, traitant sa belle-mère de «maquerelle», tombant dans le délire de la persécution.
Une colère et une franchise que l'on retrouve dans ses lettres, qui étaient forcément lues par le gouverneur de la forteresse De Launay – celui dont la tête finira en haut d'une pique en1789–, lequel s'inquiète du caractère «extrêmement difficile et violent» de son prisonnier dépravé. Mais le lieutenant général de police Lenoir le rassure: plus on le laisse écrire et lire, plus il se calmera…
De fait, le marquis profite aussi de ses longues journées pour rédiger une partie de son œuvre transgressive, dont son manuscrit des 120 journées de Sodome, écrit en lettres minuscules pendant l'automne1785sur un rouleau en économisant au mieux le papier, dont il manque cruellement. Sade dissimule le tout dans un étuicaché entre les pierres du cachot… Suivront d'autres romans comme Aline et Valcour ou encore Les Infortunes de la vertu, écrit pendant l'été 1787. Le marquis s'empâte, grossit, vieillit, s'abîme les yeux avec la fumée épaisse dégagée par sa cheminée, dont il se plaint constamment, mais trouve en l'écriture le meilleur dérivatif à sa colère et à sa frustration.
À LIRE AUSSI Le marquis de Sade ou l'éternel malentendu «L'enfermement fut donc d'abord pour le marquis une expérience traumatisante avant de devenir, par la force des choses, une épreuve révélatrice, écrit le spécialiste Christian Lacombe. Entré en prison comme malfaiteur, il était devenu un écrivain, ce qui ne l'empêcha pas, dans sa correspondance, de répéter inlassablement qu'il n'était [pas] le pervers que la médiatisation de ses dérapages érotiques avait voulu faire de lui…»
14 Juillet manqué de peu
En juin1789, Sade a connaissance de l'agitation qui secoue Versailles et Paris. Il apprend qu'on entrepose de la poudre à la Bastille et s'indigne quand on le consigne dans sa geôle le 2juillet. Le voilà qui saisit un long tuyau qui servait à vider les eaux usées et se met à hurler par une ouverture que les prisonniers allaient être égorgés sur ordre du gouverneur! Les cris font mouche, une foule commence à s'agglutiner près de la forteresse, les gardiens s'emparent rapidement du marquis et le mettent au cachot.
Le lendemain, on le conduit chez les fous à Charenton, sans qu'il puisse emporter ses affaires personnelles. Il manque ainsi de peu de devenir l'un des héros de la Révolution quand, dix jours plus tard, les émeutiers libéreront les sept derniers prisonniers de la Bastille – quatre faussaires, deux fous et un dépravé sexuel…
Neuf mois plus tard, il sort de Charenton libre mais ruiné et part rapidement à la recherche de ses manuscrits perdus pendant la prise de la Bastille. Il fouille les fossés en vain, retourne les pierres, récupère quelques papiers, mais pas le fameux manuscrit des 120 journées de Sodome – dérobé puis dissimulé, le texte sera publié seulement au XXesiècle. Après avoir échappé de peu à la guillotine, le marquis profite de quelques années de liberté avant d'être à nouveau inquiété, cette fois par la police de Bonaparte, qui le fait enfermer.
Il finit ses jours avec les aliénés de Charenton, en 1814, payant très cher un goût pour la perversion et une vie licencieuse qu'il transposait dans ses écrits. «Lui qui recherchait la gloire littéraire de son vivant, écrit Christian Lacombe, était devenu à son corps défendant un mythe, celui d'un libertin fou furieux que la société devait à tout prix enfermer…»
À lire: Le Marquis de Sade, le libertin enchaîné, par Christian Lacombe, Perrin/Bibliothèque nationale de France.